Je suis toujours là, Walter Salles


En 1971, Rubens, sa femme Eunice et leurs cinq enfants vivent dans une grande maison de Rio de Janeiro en bord de plage. Rubens est un ancien député travailliste, revenu à son métier d'architecte après le coup d'état militaire. Mais il est soupçonné d'aider l'opposition à la dictature et est arrêté illégalement ainsi que sa femme et leur plus grande fille. Eunice et sa fille sont libérées au bout de quelques jours, mais Rubens ne réapparaitra jamais.

Histoire vraie de la vie (et de la mort) de Rubens Paiva, arrêté, torturé et tué quelques jours après par les militaires (son corps n'a jamais été retrouvé), Je suis toujours là s'attache aux conséquences de sa disparition sur sa famille.

D'une grande pudeur, le film n'est pas là pour nous montrer les exactions militaires : pas de scènes de torture, seule la séquence de questions que subit Eunice est présente à l'écran. Mais il n'est pas nécessaire de nous en montrer plus pour comprendre : le transport vers le centre de détention secret (les membres de la famille sont cagoulés), les quelques cris que l'on entend suffisent à nous faire comprendre les méfaits de la dictature.

Le film s'attarde plutôt sur la vie brisée de cette famille, ce père qui n'est plus là, les mensonges et les non-dits que doivent tenir Eunice et sa fille pour ne pas inquiéter les enfants plus jeunes, mais aussi tout simplement le manque d'argent provoqué par la suppression du seul salaire de la famille et le retour aux études d'Eunice pour pouvoir reprendre un travail.

Découpé en trois périodes distinctes, d'abord 1971 et la disparition de Rubens, puis 1995 où, après le retour du Brésil à la démocratie, celui-ci est enfin déclaré mort, enfin dans les années 2010 dans une dernière séquence peut-être superflue ou Eunice, atteinte d'Alzheimer,  est entourée de ses proches, le film montre que cette famille ne s'est jamais réellement remise de cette disparition, que les blessures infligées par une dictature ne se referment jamais complètement.

Film d'une force et d'une douceur remarquables, évitant les effets gratuits, ancré au contraire dans le réel par l'utilisation de séquences en super-8, Je suis toujours là est un témoignage mémoriel puissant sur ce qu'il s'est passé, sur ce qui peut toujours revenir (et pas seulement au Brésil). Remarquons enfin un casting impeccable, porté par Fernanda Torres formidable dans le rôle d'Eunice, femme à la fois forte et fragile, découvrant de la pire manière les actions justes de son mari (remarquons au passage que comme souvent, si les hommes agissent pour ce qu'il leur parait juste, leurs femmes et leurs familles en paient aussi les conséquences) et qui au lieu de se refermer sur elle-même après cette effroyable séquence se mettra au service de la population autochtone brésilienne.

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