soundtrack to a coup d’état, Johan Grimonprez

Début 1960, les congolais demandent leur indépendance et se rendent à Bruxelles, chez le colonisateur, pour négocier celle-ci. Le Congo est en effet une possession belge ; propriété personnelle du roi Léopold II de 1885 à 1908 qui le légua ensuite à l’état belge, le Congo est une colonie commerciale où sont exploités le caoutchouc et les ressources minières. L’indépendance est officielle le 30 juin 1960, son nouveau premier ministre, architecte de l’indépendance, est Patrice Lumumba, dirigeant du mouvement national Congolais et vainqueur des élections en mai 1960. Mais, évidemment, le colonisateur fait un coup tordu 3 jours avant l’indépendance en privatisant l’Union minière du Haut Katanga, l’entreprise exploitant les principales richesses du pays et ayant fourni aux États-Unis l’uranium nécessaire à la bombe atomique. Dès lors, la Belgique et les USA feront tout pour faire tomber Lumumba et le remplacer par un dirigeant plus conforme à leurs intérêts. Lumuba et deux de ses partisans seront capturés, torturés et assassinés par des katangais et des belges en janvier 1961.

Soundtrack to a coup d’état raconte tout cela et bien plus encore. L’espoir des congolais, les magouilles des américains et des belges, l’horreur de la guerre qu’ils déclencheront sont documentés par des archives incroyables : des images de l’époque, aussi bien en Belgique qu’au Congo, des interviews des intervenants des différents camps, notamment des responsables de la CIA, des mercenaires, mais aussi Nikita Khrouchtchev ou Fidel Castro, entrecoupés de séquences musicales des musiciens et musiciennes de jazz noirs : Nina Simone, Max Roach, Dizzy Gillespie, John Coltrane, Louis Armstrong… Car ces musiciens étaient utilisés par le département d’état américain (l’équivalent de notre ministère des affaires étrangères) comme outil de soft power, envoyé en tournée dans les pays africains, avec notamment un passage d’Armstrong au Congo en octobre 1960, donc en plein milieu des manœuvres de services secrets occidentaux pour éliminer Lumumba.

Des archives impressionnantes (l’interview du directeur de la CIA expliquant qu’ils n’interviennent nulle part et n’organisent jamais de coup d’état est assez gratinée), un montage impeccable, une bande son exceptionnelle, une clarté dans le déroulement des événements, ce documentaire est un modèle du genre, et s’il nous raconte des événements de 1960 il n’est pas difficile de faire des parallèles avec la situation internationale actuelle. A voir absolument.

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Une bataille après l’autre, Paul Thomas Anderson

Membres d’un groupe révolutionnaire d’extrême-gauche, Perfidia et Bob s’attaquent entre autres aux centres de rétention pour libérer des migrants. Mais lorsque Perfidia est capturée par les forces de l’ordre et particulièrement par Locklaw, un militaire fou et amoureux de Perfidia, celle-ci dénonce ces camarades et la plupart des membres du groupe sont arrêtés ou éliminés. Bob parvient à s’échapper avec Willa, le bébé qu’il a conçu avec Perfidia et vit à la marge au fin fond des US. 16 ans après, Locklaw retrouve la trace de Bob et veut récupérer Willa dont il s’attribue la paternité.

Un film de Paul Thomas Anderson tiré d’un roman de Thomas Pynchon (« Vineland »), voilà qui était alléchant, et le film tient toutes ses promesses : cette histoire de révolutionnaires poursuivis par un militaire fou (Sean Penn est absolument incroyable) est prenante d’un bout à l’autre. De la première scène et son attaque d’un camp de rétention (difficile de trouver une image plus actuelle) jusqu’au chassé-croisé en voitures dans une région désertique, tout fonctionne parfaitement, notamment grâce à un casting impeccable. Di Caprio, dont la prestation dans Killers of the Flower Moon était pitoyable, est ici particulièrement convaincant dans ce rôle de gauchiste un peu demeuré et paranoïaque mais très amoureux de sa fille ; Teyana Taylor et Chase Infinity sont tout aussi remarquables. Ajoutons une photo superbe (notamment dans la région désertique de la fin), une mise en scène très chorégraphique, une bande originale qui colle à l’ambiance et une grande dose d’humour (un groupuscule fasciste particulièrement ridicule sert de réceptacle à cet humour) et on comprendra l’enthousiasme que ce film a déclenché chez votre chroniqueur.

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Faustus in africa, Handspring puppet company/william Kentridge

Faustus in Africa est une adaptation du mythe de Faust par une copmagnie sud-africaine de théatre mélant acteurs, actrice et marionnettes à taille réelle. Je ne vous rappellerai pas ce qu’est le mythe de Faust, cette adaptation l’utilise pour rappeler l’histoire récente des pays africains. de la colonisation et l’exploitation des ressources naturelles jusqu’à la mise en place de dictateurs, cette pièce créée en 1995, soit juste après la fin de l’apartheid, évoque une partie des conflits ayant traversé le continent.
Ma mise en scène est brillante : dans un décor de bureau, les marionnettistes qui ne se cachent pas sont aussi acteurs et actrices, font évoluer les personnages, mais aussi des animaux, comme dans du théâtre classique, et on oublie facilement qu’il y a des marionnettes parmi les acteurs. S’ajoute un écran au fond projetant des animations illustrant les événements évoqués.

Le texte, les acteurs et actrices, les marionnettes : tout est remarquable dans cette pièce. Il y a encore quelques représentations la semaine prochaine au théâtre de la ville. Dernier point : la pièce est en anglais avec surtitrage, c’est très facile à suivre.

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Sirāt, Oliver Laxe

Dans les montagnes marocaines, Luis et son fils Esteban se rendent à une rave sauvage à la recherche de leur fille/sœur partie il y a quelques mois et dont ils sont sans nouvelle. Aucun teufeur ne la reconnait, mais quelques uns lui parlent d’une autre rave qui doit avoir lieu bientôt dans le sud du pays. Alors que l’armée disperse la rave, Luis suit ces cinq teufeurs à travers le désert pour rejoindre cette autre rave.

Sirāt commence très bien : ce père et son fils qui arrivent dans une rave, l’installation du matériel, le gros son, cette ambiance étrange au milieu d’un décor sauvage et grandiose, tout cela est fort bien rendu et on est tout de suite plongé au milieu de ces gens.
Le film se transforme alors tranquillement en road-movie, traverse le désert, explore les esprits de ces teufeurs, de ce père parti impulsivement avec son ado à la recherche de sa fille, nous les relations entre ces deux groupes si différents et on adhère toujours à ce climat déroutant malgré quelques incohérences.

Et puis le film bascule dans le sordide, se complait dans le spectacle gratuit de la mort jusqu’à des scènes insupportables et interminables amenées avec une réplique d’un humour douteux, où on se demande ce que le réalisateur veut nous montrer. On touche alors du doigt la vacuité du scénario : le Maroc n’est qu’un décor, la population locale est quasiment invisible d’un bout à l’autre, la seconde partie se déroule dans une zone de conflit dont on apprend rien. Quel intérêt ?

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Valeur sentimentale, Joachim Trier

Nora, comédienne à succès, voit son père revenir après des années d’absence. Celui-ci, à 70 ans, réalisateur de cinéma, a écrit le scénario de son prochaine et veut que Nora soit tienne le rôle principal. Devant son refus, il recrute une actrice américaine.

Valeur sentimentale est une histoire de famille. Un père absent qui revient, une mère décédée, une grand-mère suicidé qui hante la mémoire, deux sœurs qui ont souffert de tout cela. Avec un tel scénario, Trier aurait pu verser dans le mélodrame et produire un film lacrymal. Mais il filme toutes ces émotions avec suffisamment de distance pour éviter ce piège, aidé en cela par un trio d’acteur et d’actrices au jeu parfait. Jouant avec la mise en abyme du film dans le film, mêlant vraies et fausses émotions, c’est à une véritable démonstration de talent que l’on assiste. Aidé par une photographie remarquable qui fournit beaucoup de plans d’une beauté à couper le souffle, Valeur sentimentale est un drame éclatant, mêlant profondeur et humour, et certainement l’un des plus grands films de l’année.

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Dìdi, Sean Wang

En 2008, Chris, que sa famille appelle Dìdi, dont les parents taïwanais sont des immigrés récents, vit avec sa grande sœur, sa mère et sa grand-mère. Son père est absent la plupart du temps, il travaille à Taiwan. Chris a du mal à s’intégrer : il a honte de ses origines chinoises, se fait des amis difficilement et est terriblement timide avec la fille qui lui plait. A la maison, ce n’est pas mieux : il se chamaille avec sa sœur, se dispute avec sa mère ; celle-ci est en conflit avec la mère de son mari, qui ne parle que chinois et passe son temps à lui reprocher l’éducation de ses enfants.

Dìdi est un récit initiatique en partie autobiographique. Sean Wang, le réalisateur, issu d’une famille taïwanaise, avait le même âge que Chris en 2008. Nǎi Nai, sa grand-mère, porte le même nom dans le film. On comprend alors pourquoi le film semble aussi sincère et aussi juste. Cet adolescent maladroit, mal dans sa peau, tiraillé entre sa famille chinoise stricte et son inadaptation à la liberté qu’il ressent à l’extérieur avec ses amis est particulièrement touchant et on ressent avec lui son mal-être. Plus à l’aise devant son ordinateur (c’est le début de youtube et la fin de myspace) que dans le monde réel, Chris parlera à beaucoup d’entre nous, à toutes celles et ceux dont l’adolescence a été une période compliquée voire difficile. Le film n’est malheureusement pas diffusé dans beaucoup de salles, ne le manquez pas s’il passe près de chez vous.

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Substitution – bring her back, Michael & Danny Philippou

Suite à la mort de leur père, Andy, presque majeur, et sa petite sœur malvoyante Piper sont placés chez Laura, une psychologue qui a déjà en charge Olie, un petit garçon muet au comportement bizarre. Laura a perdu sa fille, morte noyée et elle s’attache vite à Piper jusqu’à tout faire pour éloigner Andy.

A mi-chemin entre le thriller et l’horreur, Substitution est doté d’un scénario simple mais efficace : une femme tente de remplacer la fille qu’elle a perdue par une autre. Si le film ne manque pas de scènes horrifiques (certaines scènes très visuelles sont assez difficiles), il ne se contente pas de ces effets et s’attarde surtout sur les personnages. Dominé par Sally Hawkins remarquable de bout en bout, inspirant aussi bien la crainte que la compassion, l’interprétation est impeccable et donne une véritable profondeur à l’histoire. Les réalisateurs évitent les effets faciles (pas de jump scare ou de musique angoissante ici) pour nous parler de relations familiales toxiques, d’emprise et de basculement dans la folie.

Distillant un malaise constant, même dans les scènes les plus anodines, Substitution n’est pas un film tranquille et certaines scènes sont à la limite de ce que je peux supporter, cela n’en reste pas moins un film fort et marquant.

PS : Sally Hawkins était évidemment l’actrice principale de La Forme de l’eau de Guillermo del Toro, mais aussi de la délicieuse et très anglaise comédie The Lost King de Stephen Frears.

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Affinités, Sarah Waters

Femme célibataire de la bourgeoisie Londonienne vivant avec sa mère, dépressive depuis la mort de son père, Margaret Prior s’occupe en visitant les détenues de Millbank, la prison pour femmes active jusqu’en 1890. Parmi ces détenues, Selina Dawes, une médium condamnée suite à la mort de sa logeuse après une séance de spiritualisme. Margaret va tomber amoureuse de Selina et chercher comment la sortir de ce lieu effroyable.

Second roman de Sarah Waters et précédant Du bout des doigts, son plus célèbre livre, Affinités ne surprend guère le lectorat de l’écrivaine ni par son déroulement (la naissance d’un amour lesbien) ni par son dénouement. Comme dans ses autres romans, Waters décrit avec érudition des aspects précis de la société victorienne : ici le spiritualisme et le système carcéral. Elle bâtit lentement (peut-être un peu trop au début) la relation entre les deux femmes, ne montrant que par petites touches l’emprise de l’une sur l’autre et si le roman commence calmement, la tension monte avec la dégradation de l’état mental de Margaret.

Affinités est un roman efficace est bien mené, mais il est en deçà de Du bout des doigts dont il semble être le brouillon dans la construction de l’intrigue.

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The Vengeance, Emma Newman

Morgane a grandi dans les caraïbes sur un bateau, fille de Anna-Marie, capitaine du vaisseau pirate The Vengeance. Mais lorsque celle-ci est mortellement blessée lors de l’abordage d’une goélette française, Anna-Marie apprend à Morgane qu’elle n’est pas sa fille mais sa nièce, et qu’elle l’a enlevée à sa vraie et cruelle mère, mariée au puissant conte d’Artois. Morgane décide alors de se rendre en France pour retrouver sa mère.

Emma Newman le dit dans la préface : elle a grandit avec Alexandre Dumas, aussi bien les livres que les diverses adaptations, et le Conte de Monte-Cristo a une place spéciale dans son cœur. The Vengeance est donc un hommage direct à ce livre et à son créateur. On y retrouve donc tout ce qui fait Dumas : des personnages haut en couleur, des aventures, des combats, de la fanfaronnade, avec ce qu’apporte en plus Newman : Morgane, ce personnage féminin aussi forte que décalée, qui suit parfois ses passions plutôt que la raison, qui découvre cette France rigoriste si loin de ses caraïbes, ainsi que quelques créatures fantastiques, dont les vampires annoncés sur la couverture.

The Vengeance est un roman léger, rapide, mouvementé et drôle. Une belle lecture de détente.
(lu en VO, pas de traduction annoncée)
(et on pardonnera quelques fautes de français dans les dialogues et quelques anachronismes)

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Trois spectacles avignonnais : La Meute, par les Moutons noirs; la Cuisine musicale, par Minute papillon; De loin si près, par Vilcanota

Profitant d’un passage rapide à Avignon pendant le festival j’ai vu trois spectacles : du théâtre, de l’opéra pour enfants et de la danse contemporaine (soyons éclectiques ! ).

Pour commencer, « La Meute », par la compagnie des Moutons noirs, joué par Yannick Loubin.
Un comédien seul, se présentant en maître d’école, nous propose sa version de Boule de Suif, la nouvelle de Maupassant. Dix personnes dans une diligence fuient la progression des allemands. Parmi elles, « boule de suif », une galante surnommée ainsi pour son embonpoint, dédaignée par les autres passagers à cause de son métier, mais qui vont bientôt avoir besoin d’elle…
Yannick Loubin est excellent dans cette mise en scène de cette nouvelle dénonçant l’hypocrisie et la bassesse de la petite bourgeoisie. A l’aide d’un vieux rétroprojecteur il agrémente la nouvelle de quelques dessins et le texte est coupé régulièrement par quelques références contemporaines, parfois un peu longues, mais malgré cette légère critique le spectacle est vivant et efficace.

Ensuite, restons avec les enfants et « La cuisine musicale » de la compagnie Minute papillon. Un comédien et une comédienne interprète des airs d’opéra dans un décor de cuisine, utilisant les ustensile comme instruments de cuisine. C’est drôle et rythmé, parfaitement chanté, les airs sont interprétés dans des style totalement différents à chaque fois et ça marche aussi bien sur les enfants (dès 4 ans) que sur les adultes. Beaucoup de plaisir à voir ce spectacle de 45 minutes.

Terminons avec de la dans contemporaines et « de loin si près » de la compagnie Vilcanota, chorégraphié par Bruno Pradet. 8 danseurs et danseuses, des rubans de tissus de toutes les couleurs, et c’est parti pour une heure de danse sur une superbe musique originale mêlant électro parfois indus et vièle à roue. Ca commence avec de la gestuelle saccadée très science-fictionnelle, puis des mouvements (je découvre que c’est du Krump), puis on retrouve une influence hip-hop. C’est très beau, les danseurs et danseuses sont parfaitement synchronisés et le jeu avec les rubans est magnifique, notamment avec un final vraiment réussi (j’essaye de ne pas trop user de superlatifs). Il n’y a aucun besoin de s’y connaître en danse pour apprécier la beauté de ce spectacle, alors si cela passe près de chez vous, n’hésitez pas.

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