Nouvelle vague, Richard Linklater.

En 1959, Jean-Luc Godard est critique aux cahiers du cinéma aux côtés, entre autres, de Truffaut, Rivette ou Rohmer. Il n’a pour l’instant réalisé qu’un court métrage et obtient de Jean de Beauregard de produire son premier film, « A bout de film », adapté d’un fait divers que lui a proposé Truffaut. Avec dans les rôles principaux le jeune Belmondo et Jean Seberg, actrice américaine et star montante, le tournage de 20 jours se déroule dans des conditions improbables : Godard ne suit aucun script et improvise chaque matin les scènes, les dialogues ne sont pas enregistrés mais doublés par la suite, décide parfois d’annuler le tournage du jour au dernier moment.

Nouvelle vague est présenté comme « l’histoire de Godard tournant « À bout de souffle », racontée dans le style et l’esprit de Godard tournant « À bout de souffle » ». On pourrait penser que c’est un film de cinéphile pour cinéphiles, que cela risque d’être un pensum impénétrable sur un cinéma qui a pu l’être par moment, mais il n’en est rien !

Linklater a rusé : il a détourné une machine temporelle et est retourné en 1959 pour réaliser un documentaire. Tout dans Nouvelle Vague sonne vrai : l’utilisation du noir & blanc bien sûr, les décors, l’ambiance, les acteurs et actrices (on reconnait du premier coup d’œil Belmondo, Seberg, Godard, Truffaut, Chabrol… On ne voit pas un film sur un tournage, on est projeté sur le tournage du film et on y assiste en direct. Le casting composé d’acteurs inconnus (en tout cas de moi) donne un effet de réel absolument saisissant. Linklater a été accompagné pour le scénario et le tournage par Michèle Halberstadt qui a travaillé avec Godard et dont on peut lire une interview à propos de Nouvelle vague sur le site du CNC.

Enfin le film est extrêmement drôle : la façon de tourner de Godard est nouvelle et désarçonne tout le monde : aussi bien les acteurs que l’équipe technique, et on rit avec eux à de multiples reprises. On a une seule envie en ressortant de la salle : voir ou revoir A bout de souffle pour le confronter à ce qu’on vient de voir. Merci Richard Linklater pour cette merveille.

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On Falling, Laura Carreira

Aurora, jeune portugaise immigrée en Écosse, travaille comme préparatrice de commande dans un entrepôt. Elle vit en coloc avec d’autres immigré·es et a peu d’activités en dehors de son travail.

Premier film de Laura Carreira, réalisatrice portugaise, On Falling est produit par Sixteen Films, la société de Ken Loach. On est donc guère surpris par le contenu social de l’œuvre, qui s’intéresse aussi bien à l’aliénation de ce travail qu’aux conséquences de la solitude sur ces travailleurs. Ce travail avec son organisation absurde (« les articles sont dans le désordre, cela transforme le travail en une chasse au trésor » lâche une contremaître), ses réunions de motivation effroyables, ses primes ridicules (« tu es parmi les meilleures cette semaine, viens prendre une barre de chocolat gratuite ! ») et cette vie vécue au travers d’un smartphone pendant le temps de loisir sont parfaitement rendus par une réalisation s’attardant sur l’ennui et la répétition, jusqu’à deux belles scènes finales : un terrible entretien d’embauche où Aurora touche le vide de sa vie, mais aussi une scène de joie collective quand l’entrepôt est touché par une panne et que les salariés se retrouvent pour jouer avec un ballon. Joana Santos est parfaite dans le rôle de cette jeune fille perdue dans sa solitude, mal à l’aise socialement dans ce pays étranger, rêvant juste d’un meilleur travail et de meilleures amitiés.

Sorti il y a tout juste une semaine, On Falling passe injustement dans très peu de salles ; ne passez pas à côté !

(et vous pouvez écouter cet épisode du podcast Une Invention sans avenir qui en parle bien mieux que moi)

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soundtrack to a coup d’état, Johan Grimonprez

Début 1960, les congolais demandent leur indépendance et se rendent à Bruxelles, chez le colonisateur, pour négocier celle-ci. Le Congo est en effet une possession belge ; propriété personnelle du roi Léopold II de 1885 à 1908 qui le légua ensuite à l’état belge, le Congo est une colonie commerciale où sont exploités le caoutchouc et les ressources minières. L’indépendance est officielle le 30 juin 1960, son nouveau premier ministre, architecte de l’indépendance, est Patrice Lumumba, dirigeant du mouvement national Congolais et vainqueur des élections en mai 1960. Mais, évidemment, le colonisateur fait un coup tordu 3 jours avant l’indépendance en privatisant l’Union minière du Haut Katanga, l’entreprise exploitant les principales richesses du pays et ayant fourni aux États-Unis l’uranium nécessaire à la bombe atomique. Dès lors, la Belgique et les USA feront tout pour faire tomber Lumumba et le remplacer par un dirigeant plus conforme à leurs intérêts. Lumuba et deux de ses partisans seront capturés, torturés et assassinés par des katangais et des belges en janvier 1961.

Soundtrack to a coup d’état raconte tout cela et bien plus encore. L’espoir des congolais, les magouilles des américains et des belges, l’horreur de la guerre qu’ils déclencheront sont documentés par des archives incroyables : des images de l’époque, aussi bien en Belgique qu’au Congo, des interviews des intervenants des différents camps, notamment des responsables de la CIA, des mercenaires, mais aussi Nikita Khrouchtchev ou Fidel Castro, entrecoupés de séquences musicales des musiciens et musiciennes de jazz noirs : Nina Simone, Max Roach, Dizzy Gillespie, John Coltrane, Louis Armstrong… Car ces musiciens étaient utilisés par le département d’état américain (l’équivalent de notre ministère des affaires étrangères) comme outil de soft power, envoyé en tournée dans les pays africains, avec notamment un passage d’Armstrong au Congo en octobre 1960, donc en plein milieu des manœuvres de services secrets occidentaux pour éliminer Lumumba.

Des archives impressionnantes (l’interview du directeur de la CIA expliquant qu’ils n’interviennent nulle part et n’organisent jamais de coup d’état est assez gratinée), un montage impeccable, une bande son exceptionnelle, une clarté dans le déroulement des événements, ce documentaire est un modèle du genre, et s’il nous raconte des événements de 1960 il n’est pas difficile de faire des parallèles avec la situation internationale actuelle. A voir absolument.

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Une bataille après l’autre, Paul Thomas Anderson

Membres d’un groupe révolutionnaire d’extrême-gauche, Perfidia et Bob s’attaquent entre autres aux centres de rétention pour libérer des migrants. Mais lorsque Perfidia est capturée par les forces de l’ordre et particulièrement par Locklaw, un militaire fou et amoureux de Perfidia, celle-ci dénonce ces camarades et la plupart des membres du groupe sont arrêtés ou éliminés. Bob parvient à s’échapper avec Willa, le bébé qu’il a conçu avec Perfidia et vit à la marge au fin fond des US. 16 ans après, Locklaw retrouve la trace de Bob et veut récupérer Willa dont il s’attribue la paternité.

Un film de Paul Thomas Anderson tiré d’un roman de Thomas Pynchon (« Vineland »), voilà qui était alléchant, et le film tient toutes ses promesses : cette histoire de révolutionnaires poursuivis par un militaire fou (Sean Penn est absolument incroyable) est prenante d’un bout à l’autre. De la première scène et son attaque d’un camp de rétention (difficile de trouver une image plus actuelle) jusqu’au chassé-croisé en voitures dans une région désertique, tout fonctionne parfaitement, notamment grâce à un casting impeccable. Di Caprio, dont la prestation dans Killers of the Flower Moon était pitoyable, est ici particulièrement convaincant dans ce rôle de gauchiste un peu demeuré et paranoïaque mais très amoureux de sa fille ; Teyana Taylor et Chase Infinity sont tout aussi remarquables. Ajoutons une photo superbe (notamment dans la région désertique de la fin), une mise en scène très chorégraphique, une bande originale qui colle à l’ambiance et une grande dose d’humour (un groupuscule fasciste particulièrement ridicule sert de réceptacle à cet humour) et on comprendra l’enthousiasme que ce film a déclenché chez votre chroniqueur.

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Faustus in africa, Handspring puppet company/william Kentridge

Faustus in Africa est une adaptation du mythe de Faust par une copmagnie sud-africaine de théatre mélant acteurs, actrice et marionnettes à taille réelle. Je ne vous rappellerai pas ce qu’est le mythe de Faust, cette adaptation l’utilise pour rappeler l’histoire récente des pays africains. de la colonisation et l’exploitation des ressources naturelles jusqu’à la mise en place de dictateurs, cette pièce créée en 1995, soit juste après la fin de l’apartheid, évoque une partie des conflits ayant traversé le continent.
Ma mise en scène est brillante : dans un décor de bureau, les marionnettistes qui ne se cachent pas sont aussi acteurs et actrices, font évoluer les personnages, mais aussi des animaux, comme dans du théâtre classique, et on oublie facilement qu’il y a des marionnettes parmi les acteurs. S’ajoute un écran au fond projetant des animations illustrant les événements évoqués.

Le texte, les acteurs et actrices, les marionnettes : tout est remarquable dans cette pièce. Il y a encore quelques représentations la semaine prochaine au théâtre de la ville. Dernier point : la pièce est en anglais avec surtitrage, c’est très facile à suivre.

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Sirāt, Oliver Laxe

Dans les montagnes marocaines, Luis et son fils Esteban se rendent à une rave sauvage à la recherche de leur fille/sœur partie il y a quelques mois et dont ils sont sans nouvelle. Aucun teufeur ne la reconnait, mais quelques uns lui parlent d’une autre rave qui doit avoir lieu bientôt dans le sud du pays. Alors que l’armée disperse la rave, Luis suit ces cinq teufeurs à travers le désert pour rejoindre cette autre rave.

Sirāt commence très bien : ce père et son fils qui arrivent dans une rave, l’installation du matériel, le gros son, cette ambiance étrange au milieu d’un décor sauvage et grandiose, tout cela est fort bien rendu et on est tout de suite plongé au milieu de ces gens.
Le film se transforme alors tranquillement en road-movie, traverse le désert, explore les esprits de ces teufeurs, de ce père parti impulsivement avec son ado à la recherche de sa fille, nous les relations entre ces deux groupes si différents et on adhère toujours à ce climat déroutant malgré quelques incohérences.

Et puis le film bascule dans le sordide, se complait dans le spectacle gratuit de la mort jusqu’à des scènes insupportables et interminables amenées avec une réplique d’un humour douteux, où on se demande ce que le réalisateur veut nous montrer. On touche alors du doigt la vacuité du scénario : le Maroc n’est qu’un décor, la population locale est quasiment invisible d’un bout à l’autre, la seconde partie se déroule dans une zone de conflit dont on apprend rien. Quel intérêt ?

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Valeur sentimentale, Joachim Trier

Nora, comédienne à succès, voit son père revenir après des années d’absence. Celui-ci, à 70 ans, réalisateur de cinéma, a écrit le scénario de son prochaine et veut que Nora soit tienne le rôle principal. Devant son refus, il recrute une actrice américaine.

Valeur sentimentale est une histoire de famille. Un père absent qui revient, une mère décédée, une grand-mère suicidé qui hante la mémoire, deux sœurs qui ont souffert de tout cela. Avec un tel scénario, Trier aurait pu verser dans le mélodrame et produire un film lacrymal. Mais il filme toutes ces émotions avec suffisamment de distance pour éviter ce piège, aidé en cela par un trio d’acteur et d’actrices au jeu parfait. Jouant avec la mise en abyme du film dans le film, mêlant vraies et fausses émotions, c’est à une véritable démonstration de talent que l’on assiste. Aidé par une photographie remarquable qui fournit beaucoup de plans d’une beauté à couper le souffle, Valeur sentimentale est un drame éclatant, mêlant profondeur et humour, et certainement l’un des plus grands films de l’année.

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Dìdi, Sean Wang

En 2008, Chris, que sa famille appelle Dìdi, dont les parents taïwanais sont des immigrés récents, vit avec sa grande sœur, sa mère et sa grand-mère. Son père est absent la plupart du temps, il travaille à Taiwan. Chris a du mal à s’intégrer : il a honte de ses origines chinoises, se fait des amis difficilement et est terriblement timide avec la fille qui lui plait. A la maison, ce n’est pas mieux : il se chamaille avec sa sœur, se dispute avec sa mère ; celle-ci est en conflit avec la mère de son mari, qui ne parle que chinois et passe son temps à lui reprocher l’éducation de ses enfants.

Dìdi est un récit initiatique en partie autobiographique. Sean Wang, le réalisateur, issu d’une famille taïwanaise, avait le même âge que Chris en 2008. Nǎi Nai, sa grand-mère, porte le même nom dans le film. On comprend alors pourquoi le film semble aussi sincère et aussi juste. Cet adolescent maladroit, mal dans sa peau, tiraillé entre sa famille chinoise stricte et son inadaptation à la liberté qu’il ressent à l’extérieur avec ses amis est particulièrement touchant et on ressent avec lui son mal-être. Plus à l’aise devant son ordinateur (c’est le début de youtube et la fin de myspace) que dans le monde réel, Chris parlera à beaucoup d’entre nous, à toutes celles et ceux dont l’adolescence a été une période compliquée voire difficile. Le film n’est malheureusement pas diffusé dans beaucoup de salles, ne le manquez pas s’il passe près de chez vous.

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Substitution – bring her back, Michael & Danny Philippou

Suite à la mort de leur père, Andy, presque majeur, et sa petite sœur malvoyante Piper sont placés chez Laura, une psychologue qui a déjà en charge Olie, un petit garçon muet au comportement bizarre. Laura a perdu sa fille, morte noyée et elle s’attache vite à Piper jusqu’à tout faire pour éloigner Andy.

A mi-chemin entre le thriller et l’horreur, Substitution est doté d’un scénario simple mais efficace : une femme tente de remplacer la fille qu’elle a perdue par une autre. Si le film ne manque pas de scènes horrifiques (certaines scènes très visuelles sont assez difficiles), il ne se contente pas de ces effets et s’attarde surtout sur les personnages. Dominé par Sally Hawkins remarquable de bout en bout, inspirant aussi bien la crainte que la compassion, l’interprétation est impeccable et donne une véritable profondeur à l’histoire. Les réalisateurs évitent les effets faciles (pas de jump scare ou de musique angoissante ici) pour nous parler de relations familiales toxiques, d’emprise et de basculement dans la folie.

Distillant un malaise constant, même dans les scènes les plus anodines, Substitution n’est pas un film tranquille et certaines scènes sont à la limite de ce que je peux supporter, cela n’en reste pas moins un film fort et marquant.

PS : Sally Hawkins était évidemment l’actrice principale de La Forme de l’eau de Guillermo del Toro, mais aussi de la délicieuse et très anglaise comédie The Lost King de Stephen Frears.

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Affinités, Sarah Waters

Femme célibataire de la bourgeoisie Londonienne vivant avec sa mère, dépressive depuis la mort de son père, Margaret Prior s’occupe en visitant les détenues de Millbank, la prison pour femmes active jusqu’en 1890. Parmi ces détenues, Selina Dawes, une médium condamnée suite à la mort de sa logeuse après une séance de spiritualisme. Margaret va tomber amoureuse de Selina et chercher comment la sortir de ce lieu effroyable.

Second roman de Sarah Waters et précédant Du bout des doigts, son plus célèbre livre, Affinités ne surprend guère le lectorat de l’écrivaine ni par son déroulement (la naissance d’un amour lesbien) ni par son dénouement. Comme dans ses autres romans, Waters décrit avec érudition des aspects précis de la société victorienne : ici le spiritualisme et le système carcéral. Elle bâtit lentement (peut-être un peu trop au début) la relation entre les deux femmes, ne montrant que par petites touches l’emprise de l’une sur l’autre et si le roman commence calmement, la tension monte avec la dégradation de l’état mental de Margaret.

Affinités est un roman efficace est bien mené, mais il est en deçà de Du bout des doigts dont il semble être le brouillon dans la construction de l’intrigue.

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