Par rené-marc le samedi 18 janvier 2025, 09:18 - littérature
Pendant longtemps je n'ai pas voulu lire d'horreur. Le peu que j'en avais parcouru était dans mon esprit synonyme de gore, de sang qui gicle, de violence gratuite, de scènes de viol à la limite du supportable et souvent une absence flagrante de qualité littéraire. Au mieux un livre comme Les Rats, s'il n'était pas désagréable, ne me touchait pas. Quant à Stephen King, mon élitisme stupide (je me suis soigné depuis) m'obligeait à le regarder dédaigneusement et surtout ne pas ouvrir des livres qui se vendaient autant.
J'y suis revenu sporadiquement, par le biais du fantastique, en participant pendant quelques années au jury du prix Masterton, avec par exemple 40 jours de nuit de Michelle Paver, roman polaire frôlant l'horreur ; ou avec des ouvrages d'auteurs que je connaissais déjà pour leur oeuvre SF (tel Terreur de Dan Simmons, encore un roman polaire).
Mais mon véritable retour à l'horreur date d'il y a 3 ou 4 ans, en suivant les conseils de lecture d'une amie et en écoutant Talking Scared, un podcast anglais consacré au genre, podcast inégal puisque dépendant des invité·es mais souvent passionnant (comme cet épisode avec John Langan, l'auteur du remarquable The Fisherman). J'ai alors découvert une nouvelle génération d'auteurs et d'autrices, des romans dotés d'une écriture remarquable, utilisant l'horreur pour parler du monde actuel, de sujets politiques et sociétaux.
Le genre est actuellement en pleine explosion dans le monde anglo-saxon, un épisode de Talking Scared indiquait qu'on est passé en quelques années d'une centaine de publications à plus de 500. Si la vague n'est pas aussi forte en France, plusieurs éditeurs de toute taille s'y mettent depuis quelques temps et il semblerait même qu'une collection dédiée naisse cette année dans un grand groupe.
Alors, dans cette nouvelle production, que lire ? Voici quelques noms qui ne sont qu'un reflet de mes lectures et de mes goûts.
- Catriona Ward. Cette autrice anglaise née aux États-unis a publié 5 ouvrages, dont deux ont été traduits chez sonatine. La dernière maison avant les bois est un thriller horrifique classique. Une disparition d'enfant, un personnage mystérieux, des twists... tout cela donne un roman très efficace. Mais son œuvre majeure est certainement le suivant : Mirror Bay. Là encore une personne disparue, mais l'autrice enchasse les récits, multipliant les versions, complexifiant les relations entre les personnages, faisant douter le lecteur tout au long du roman. Un véritable tour de force, une démonstration d'écriture.
- Gwendolyn Kiste. Trois ouvrages traduits aux éditions du Chat Noir. Filles de rouille est incontournable : ces jeunes filles qui se métallisent dans cette banlieue ouvrière touchée par la crise et la fermeture de l'usine locale sont particulièrement touchantes. Les deux derniers romans de Kiste ne sont pas traduits pour l'instant et c'est particulièrement dommage : dans Reluctant immortal, Lucy Westenra, la victime de Dracula, et Bertha Mason, la première épouse folle de Rochester dans Jane Eyre, échappent à leurs bourreaux dans l’Amérique des années 70, et The Haunting of Velkwood mélange passage à l’âge adulte, relation familiale et maison hantée.
- Grady Hendrix : l'auteur de Horrorstör, roman parodiant le catalogue Ikea, est peu traduit en France, mais Détruire tous les monstres est un délicieux récit d'horreur dans le milieu de la musique metal. Si vous lisez l'anglais, How to Sell a Haunted House (une histoire de maison hanté) et the Southern Book Club's Guide to Slaying Vampires (un vampire s'introduit dans un club de lecture de femmes au foyer) sont de remarquables romans sur l'Amérique et la condition des femmes.
- Mariana Enriquez. Est-ce nécessaire de vous en parler ? Notre Part de nuit a été couronné de prix et a connu un grand succès, mais ma préférence va à Ce que nous avons perdu dans le feu, un recueil de nouvelles particulièrement fortes.
- Samanta Schweblin. Éditée chez Grasset ou Gallimard en littérature générale, il serait facile de passer à côté. Pourtant les textes de Sept Maisons vides rappellent fortement l'œuvre de Shirley Jackson en diffusant un malaise constant provoqué par les comportements inhabituels de ses personnages.
- John Langan. J'en parlais plus haut : c'est l'auteur de The Fisherman. Un récit d'une densité et d'une dextérité incroyables autour du deuil, qui plonge dans l'horreur la plus noire. Impressionnant d'un bout à l'autre.
Voilà une première sélection. Beaucoup d’auteurices ne sont pas traduits, mais si vous lisez l’anglais, voici quelques titres qui méritent le détour : Magic for Liars (Sarah Gailey), Forgotten sisters (Cynthia Pelayo), All the Murmuring Bones (AG Slatter) .