dimanche 19 janvier 2025

La chambre d'à côté

De Pedro Almodovar, avec Julianne Moore, Tilda Swinton, John Turturro. Fiche IMDB

Ingrid, écrivaine à succès, revient à New York pour son nouveau livre. Une amie lui apprend qu'une vieille connaissance, Martha, est atteinte d'un cancer incurable.

 

Je vais spoiler (un peu) et parler de mort (beaucoup), donc vous êtes prévenu.

 

La chambre d'à côté est un film à la fois dur et doux.
Dur, car Martha souffre, le cancer et la chimio lui ont fait perdre les plaisir de la vie : elle n'arrive plus à se concentrer, donc plus à lire ou à écrire alors qu'elle était reporter de guerre. Dur, car elle veut mourir, et elle préfère le suicide à une longue agonie. Dur, car elle demande à Ingrid de l'accompagner, d'être pas loin d'elle quand elle prendra la pilule qui mettra fin à ses souffrances et à sa vie. Dur, car sa vie est remplie d'un immense regret : elle a eu une fille alors qu'elle était trop jeune, n'a pas su s'en occuper, a préféré son métier à sa fille, et celle-ci a rompu avec elle. Dur enfin, car pour beaucoup de spectateurs, cela touche des souvenirs ou des vécus personnels.

Mais c'est aussi un film doux. Ces deux femmes qui ne se sont pas vues pendant des années renouent comme si elles ce trou n'avait jamais existé. Ingrid accepte d'accompagner Martha malgré l'effroi que cela lui procure et cette période dans une maison au fond des bois, malgré sa fin ineluctable, est remplie de bonté et de calme, de tendresse et d'amour, de souvenirs agréables et parfois de rires.

Tout le film tourne autour de la relation entre ces deux femmes. Julianne Moore dégage une force tranquille, troublée par la peur mais vaillante, ne désirant pas laisser tomber son amie. Tilda Swinton de son côté montre une femme au bout de sa vie, bien déterminée à en finir, en battant le cancer à son propre jeu. Et sa réappartition à la fin dans un autre rôle, clin d'oeil à la mort, est une bien belle idée.

Alors évidemment, quand on voit ce film la semaine de la mort de David Lynch à 78 ans et qu'on sait qu'Almodovar a 3 ans de moins, on ne peut s'empêcher de penser que La chambre d'à côté est un peu un film testament de son réalisateur, le produit de sa réflexion sur le vieillissement et la mort. Mais c'est aussi un témoignage de son amour des actrices, à qui il offre deux rôles magnifiques dans un film remarquable.
 

 

samedi 18 janvier 2025

Débuter en horreur

Pendant longtemps je n'ai pas voulu lire d'horreur. Le peu que j'en avais parcouru était dans mon esprit synonyme de gore, de sang qui gicle, de violence gratuite, de scènes de viol à la limite du supportable et souvent une absence flagrante de qualité littéraire. Au mieux un livre comme Les Rats, s'il n'était pas désagréable, ne me touchait pas. Quant à Stephen King, mon élitisme stupide (je me suis soigné depuis) m'obligeait à le regarder dédaigneusement et surtout ne pas ouvrir des livres qui se vendaient autant.

J'y suis revenu sporadiquement, par le biais du fantastique, en participant pendant quelques années au jury du prix Masterton, avec par exemple 40 jours de nuit de Michelle Paver, roman polaire frôlant l'horreur ; ou avec des ouvrages d'auteurs que je connaissais déjà pour leur oeuvre SF (tel Terreur de Dan Simmons, encore un roman polaire).

Mais mon véritable retour à l'horreur date d'il y a 3 ou 4 ans, en suivant les conseils de lecture d'une amie et en écoutant Talking Scared, un podcast anglais consacré au genre, podcast inégal puisque dépendant des invité·es mais souvent passionnant (comme cet épisode avec John Langan, l'auteur du remarquable The Fisherman). J'ai alors découvert une nouvelle génération d'auteurs et d'autrices, des romans dotés d'une écriture remarquable, utilisant l'horreur pour parler du monde actuel, de sujets politiques et sociétaux.

Le genre est actuellement en pleine explosion dans le monde anglo-saxon, un épisode de Talking Scared indiquait qu'on est passé en quelques années d'une centaine de publications à plus de 500. Si la vague n'est pas aussi forte en France, plusieurs éditeurs de toute taille s'y mettent depuis quelques temps et il semblerait même qu'une collection dédiée naisse cette année dans un grand groupe.

Alors, dans cette nouvelle production, que lire ? Voici quelques noms qui ne sont qu'un reflet de mes lectures et de mes goûts.

- Catriona Ward. Cette autrice anglaise née aux États-unis a publié 5 ouvrages, dont deux ont été traduits chez sonatine. La dernière maison avant les bois est un thriller horrifique classique. Une disparition d'enfant, un personnage mystérieux, des twists... tout cela donne un roman très efficace. Mais son œuvre majeure est certainement le suivant : Mirror Bay. Là encore une personne disparue, mais l'autrice enchasse les récits, multipliant les versions, complexifiant les relations entre les personnages, faisant douter le lecteur tout au long du roman. Un véritable tour de force, une démonstration d'écriture.

- Gwendolyn Kiste. Trois ouvrages traduits aux éditions du Chat Noir. Filles de rouille est incontournable : ces jeunes filles qui se métallisent dans cette banlieue ouvrière touchée par la crise et la fermeture de l'usine locale sont particulièrement touchantes. Les deux derniers romans de Kiste ne sont pas traduits pour l'instant et c'est particulièrement dommage : dans Reluctant immortal, Lucy Westenra, la victime de Dracula, et Bertha Mason, la première épouse folle de Rochester dans Jane Eyre, échappent à leurs bourreaux dans l’Amérique des années 70, et The Haunting of Velkwood mélange passage à l’âge adulte, relation familiale et maison hantée.

- Grady Hendrix : l'auteur de Horrorstör, roman parodiant le catalogue Ikea, est peu traduit en France, mais Détruire tous les monstres est un délicieux récit d'horreur dans le milieu de la musique metal. Si vous lisez l'anglais, How to Sell a Haunted House (une histoire de maison hanté) et the Southern Book Club's Guide to Slaying Vampires (un vampire s'introduit dans un club de lecture de femmes au foyer) sont de remarquables romans sur l'Amérique et la condition des femmes.

- Mariana Enriquez. Est-ce nécessaire de vous en parler ? Notre Part de nuit a été couronné de prix et a connu un grand succès, mais ma préférence va à Ce que nous avons perdu dans le feu, un recueil de nouvelles particulièrement fortes.

- Samanta Schweblin. Éditée chez Grasset ou Gallimard en littérature générale, il serait facile de passer à côté. Pourtant les textes de Sept Maisons vides rappellent fortement l'œuvre de Shirley Jackson en diffusant un malaise constant provoqué par les comportements inhabituels de ses personnages.

- John Langan. J'en parlais plus haut : c'est l'auteur de The Fisherman. Un récit d'une densité et d'une dextérité incroyables autour du deuil, qui plonge dans l'horreur la plus noire. Impressionnant d'un bout à l'autre.

 

Voilà une première sélection. Beaucoup d’auteurices ne sont pas traduits, mais si vous lisez l’anglais, voici quelques titres qui méritent le détour : Magic for Liars (Sarah Gailey), Forgotten sisters (Cynthia Pelayo), All the Murmuring Bones (AG Slatter) .