Prima la vita, Francesca Comencini

Prima la vita nous raconte la relation entre la réalisatrice et son père, Luigi Comencini, en trois étapes. D’abord petite fille, où il lui raconte des histoires, l’emmène à l’école, où elle assiste et parfois participe aux tournages. Ensuite, étudiante rebelle dans les années de plomb italiennes, où fascinée par les brigades rouges, en conflit avec son père, elle tombe dans la drogue. Enfin, libérée de ses problèmes, devenue réalisatrice à son tour et travaillant avec Luigi.

Lettre d’amour d’une fille à son père, le film est une recréation libre de cette relation autour des deux personnages. Le reste de la famille (la mère et les trois sœurs de Francesca) est absente du récit, comme si Luigi avait élevé seul Francesca. Un troisième personnage est néanmoins présent : le cinéma. Car ce qui unit ces deux personnes, c’est aussi l’amour des films et de leur création. A l’opposé de l’esbrouffe grotesque du Babylon de Damien Chazelle, le cinéma que nous montre ici Comencini est un art populaire, authentique, et les scènes de tournage recréées dans Prima la vita sont des moments débordants de vie et de joie. Le film n’esquive pas pour autant les moments plus difficiles, les corps qui souffrent sous l’effet de la drogue dans le cas de Francesca ou l’arrivée de la maladie de Parkinson pour Luigi. Mais ce sont aussi des occasions où la relation entre les deux, au lieu de se briser, se renforce. 

Parfaitement interprété par Fabrizio Gifuni et Romana Maggiora Vergano, Prima la vita est une merveille pleine de tendresse et d’amour. Allez le voir, vous en ressortirez avec un peu de bonheur en plus.

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Silo saisons 1 & 2, Graham Yost

Silo est l’adaptation du roman de Hugh Howey dont je n’avais aucun souvenir de l’intrigue (si ce n’est que le roman m’avait paru à l’époque sans grand intérêt). Je ne vous dirais donc pas si l’adaptation est fidèle 🙂 .
Reprenons : suite à une événement inconnu, l’air à la surface de la Terre est devenu toxique. 10000 personnes sont enfermées sous terre depuis plusieurs générations, dans un silo, une ville verticale de 144 étages. Les étages reconstituent les classes sociales : en haut les dirigeants, au fond du silo les travailleurs accomplissant les tâches les plus ingrates, ce qui provoque mécontentement et rébellion, cristallisés autour d’un fait : l’air est-il toujours toxique dehors ou peut-on retourner à la surface ?

La série est à l’image du livre : sans éclat ni surprise. La reconstitution du silo est bien faite, mais l’intégralité des épisodes navigue dans des couleurs ternes. De même pour les personnages : dès leur première apparition on sait s’ils sont dans le camp du bien ou du mal. Les retournements de situation sont prévisibles, on voit les cliffhangers arriver de loin, et la série en use et abuse jusqu’à plus soif. Malgré tout, cela fonctionne, on se laisse prendre au jeu, et Silo devient une série que l’on peut bingewatcher en étendant la lessive. Apple a annoncé deux nouvelles saisons pour conclure la série, espérons que les scénaristes se lâchent un peu plus.

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When the light breaks, Rúnar Rúnarsson

Una et Diddi, étudiants en arts à Reykjavik, sont amants. Alors que Diddi doit retourner voir Klara, sa compagne actuelle, pour lui annoncer leur séparation, il meurt dans un accident de voiture. Klara, qui ne se doute de rien, arrive à Reykjavik pour rejoindre les amis de Diddi et le pleurer ensemble.

Film sur le deuil, celui de Klara, la compagne officielle éplorée, celui des amis de Diddi, mais surtout celui d’Una, l’amante qui ne peut rien dire, qui doit se retenir pour que Klara ne découvre pas la vérité, When the light breaks est d’une grande sensibilité. S’il évoque les différentes réactions possibles, la fuite dans l’alcool, la camaraderie, mais aussi la gène et le désespoir, le film reste malheureusement un peu trop distant de ses personnages et on ne ressent pas vraiment l’émotion qui les traverse. Alors certes, la douleur est visible, certaines scènes sont belles, notamment à la fin lorsque Una et Klara se prennent dans les bras pour dormir, mais au final on reste extérieur à ce drame. Dommage.

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Un meurtre au bout du monde, Brit Marling et Zal Batmanglij

Nouvelle série de Brit Marling et Zal Batmanglij qui avaient déjà collaboré ensemble sur the OA, Un meurtre au bout du monde est un Whodunit dans le milieu de la technologie, des gens successful et des muskeries.

Darby Hart est une hackeuse et détective amatrice. Associée à Bill, un autre amateur de True Crime, elle avait suivi la piste d’un tueur de femmes en série. Alors qu’ils étaient devenus amants, Bill l’avait quittée à la fin de l’enquête. Quelques années plus tard, elle reçoit une invitation à un séminaire organisé par Andy, richissime chef d’entreprises de hautes technologies, séminaire se déroulant dans un hôtel islandais assez déroutant et auquel ne participe que des gens célèbres. Une invitation d’autant plus déroutante quand Darby découvre que Bill est aussi invité, et qu’il meurt dès le premier jour…

Sur une base très classique (un groupe de gens qui ne se connaissent pas se retrouve en huis-clos, l’un d’eux meurt, les liens entre les personnages et les secrets plus ou moins sombres apparaissent), la série amène quelques éléments modernes comme cet hôtel géré par une IA ou ce patron de la silicon valley rappelant certain personnage réel. L’intrigue est bien menée, le casting réussi (Emma Corin, dans le rôle d’une Darby angoissée en proie permanente au doute est impressionnante), l’hôtel et son isolement islandais crée une ambiance oppressante à souhait, mais il manque quelque chose pour que ce soit vraiment réussi, peut-être un manque de rythme par moment, la multiplication des intrigues secondaires ou un abus du flashback créant un suspense artificiel. Malgré ces légères réserves, Un meurtre au bout du monde se tient quand même dans le haut du panier des séries récentes disponibles en streaming.

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September & July, Ariane Labed

September et July sont deux sœurs à la relation quasi fusionnelle faite de diverses bêtises difficilement canalisées par leur mère. July, un peu bizarre, est victime des moqueries de ses camarades de classe et sa sœur la défend parfois brutalement lorsque ces moqueries se transforment en harcèlement. Une défense qui la conduit à de multiples exclusions de l’école, jusqu’à ce que leur mère les emmène faire un séjour au bord de mer.

Bati sur une relation aussi forte qu’étrange, deux sœurs aussi proches que dissemblables (September ordonne, July exécute, September est refermée et méfiante, July est ouverte et naïve), inadaptées au monde dans lequel elles vivent mais qu’elles parviennent à traverser grâce à leur sororité, on sent rapidement, aussi bien par l’image et par le son que par le comportement des sœurs, que quelque chose ne colle pas dans cette relation. Et c’est tout le talent d’Ariane Labed : introduire de l’étrangeté dans cette histoire pourtant limpide au premier abord.

Tiré d’un roman de Daisy Johnson (« sœurs »), September & July est un film sur l’adolescence, sur la famille, mais aussi sur la perte et la résilience, admirablement servi par des actrices formidables. On aurait envie de le voir deux fois pour mesurer l’agilité de la cinéaste et du scénario, après avoir compris lors de la première projection de quoi il en retourne.

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La Pampa, Antoine Chevrollier

Dans une petite ville du Maine-et-Loire, Jojo et Willy sont des amis inséparables à l’approche de leurs 18 ans. Jojo participe au championnat local de moto-cross, Willy est son mécanicien. Le père de Jojo dirige l’équipe et c’est son obsession, poussant son fils au maximum, lui faisant plus de reproches que d’encouragements. Willy, lui, ne s’est pas vraiment remis de la mort de son père dix ans auparavant ; ses rapports avec sa mère et son beau-père sont orageux et il préfère passer du temps avec ses copains que réviser son bac.

Avec un tel début, on s’attend à un drame familial classique. Et si drame familial il y a, ce qui fait basculer le film n’a rien de classique (on remerciera d’ailleurs la bande annonce qui ne dévoile rien). Ce qui se passe entre Jojo, Willy et leur entourage fait exploser ces relations fragiles, et le film qui commençait sur un ton assez léger prend alors une tout autre envergure. Évitons de spoiler le thème principal, mais l’amitié, la relation des adolescents au monde, le patriarcat toxique et le harcèlement sont, entre autres, abordés avec aisance, sans complaisance et sans voile pudique, dans toute leur crudité et leur cruauté. Ces adolescents fragiles et passionnés sont filmés à la bonne distance, avec leur difficultés de communication, leurs hésitations, leurs peines. 

Une amie dit que ce film devrait plaire aux fans de Sean Baker, et effectivement on y retrouve le même ton évitant toute morale, le même soucis de l’humain, de gens vivants à la périphérie de la société, pas forcément à l’aise dans ce monde, qui ne savent pas trop où ils vont. Retenons enfin une distribution remarquable : que ce soit ces deux ados ou leur entourage ils sont tous et toutes pleinement dans leur rôle, ne livrant aucune fausse note d’un bout à l’autre de ce grand film.

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The Brutalist, Brady Corbet

A la fin de la 2e guerre mondiale, Laszlo Toth, architecte hongrois brutaliste (je ne vous ferai pas l’affront de vous expliquer ce qu’est le brutalisme), émigre aux États-Unis. D’abord aidé par son cousin, petit fabricant de meubles à Philadelphie, il doit ensuite repartir de zéro, jusqu’au jour où un riche industriel, Lee Van Buren, le repère et lui propose de diriger une construction monumentale.

3h30. C’est ce que dure ce film nous racontant la vie de cet architecte imaginaire (inutile de chercher, ce n’est pas un biopic d’un personnage ayant existé). 3H30, cela permet de traiter beaucoup de sujets. Et c’est là peut-être le plus gros défaut du film : illusion du rêve américain, pauvreté, racisme, antisémitisme, violence des riches, drogue, relation conjugale… tout y passe ou presque, mais soit de façon superficielle, soit de manière grossière.

Après une première partie plutôt réussie malgré quelques scènes inutiles (Toth va voir un film porno. Hein ?!?), la seconde traîne en longueur après le twist que l’on attendait tous : le chantier monumental part en carafe (encore une déception : la cause est assez quelconque). On en reprend une couche sur tous les sujets jusqu’à une scène grotesque à Carrare (où Toth et Van Buren se sont rendus pour acheter du marbre). Cette scène est une facilité scénaristique qui devrait être interdite de tout scénario (et livre) sérieux et ne sert qu’à insister sur ce qu’on savait déjà : le patron est un salaud.

Avec une heure de moins, un scénario plus fin et peut-être un acteur plus vif qu’Adrien Brody, The brutalist m’aurait convaincu. Mais ça aurait été un autre film. Et puis peut-être que j’aurais aimé que ca parle plus d’architecture 🙂

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Présence, Steven Soderbergh

Une famille avec deux ados emménage dans une grande maison, mais une présence invisible se manifeste, notamment en bougeant des objets.

Présence est un film de maison hantée mais n’est pas un film d’horreur. Ce lieu est assez quelconque : une maison en bois américaine typique des quartiers de la classe moyenne supérieure. Elle n’a aucune originalité, en dehors d’une cheminée surmontée d’un miroir d’époque (la maison a un siècle). Cette demeure est propre et lisse, à l’image du film : ici pas de jump scare, pas d’images angoissantes, juste cette présence qui occupe tout le film en caméra subjective. Et ce fantôme, c’est un peu Casper, il est là pour prendre soin de ses habitants, et plus particulièrement de Chloé, l’adolescente à problèmes (car il faut bien qu »il y ait un problème dans cette famille).

Deux des amies de Chloé sont mortes mystérieusement, leur famille les a retrouvées le matin sans vie dans leur chambre. C’est là la plus grande originalité du film : le mal ne va pas venir de cette maison hanté, mais de l’extérieur.

C’est aussi là que réside le problème du film : cette menace est banale et n’a pas de rapport avec la maison. Soderbergh mélange deux thèmes classiques de l’horreur mais n’en tire qu’un film lisse et terne. Il utilise les tropes habituels des maisons hantées (lumières qui vacillent, objets qui bougent, médium qui sent la présence) mais ne semble pas vraiment convaincu par ce qu’il fait (le casting n’a d’ailleurs pas l’air plus concerné qui lui), jusqu’à une dernière scène ratée et un peu ridicule. On regarde le film sans déplaisir, mais sans ressentir grand chose non plus. Dommage.

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Je suis toujours là, Walter Salles

En 1971, Rubens, sa femme Eunice et leurs cinq enfants vivent dans une grande maison de Rio de Janeiro en bord de plage. Rubens est un ancien député travailliste, revenu à son métier d’architecte après le coup d’état militaire. Mais il est soupçonné d’aider l’opposition à la dictature et est arrêté illégalement ainsi que sa femme et leur plus grande fille. Eunice et sa fille sont libérées au bout de quelques jours, mais Rubens ne réapparaitra jamais.

Histoire vraie de la vie (et de la mort) de Rubens Paiva, arrêté, torturé et tué quelques jours après par les militaires (son corps n’a jamais été retrouvé), Je suis toujours là s’attache aux conséquences de sa disparition sur sa famille.

D’une grande pudeur, le film n’est pas là pour nous montrer les exactions militaires : pas de scènes de torture, seule la séquence de questions que subit Eunice est présente à l’écran. Mais il n’est pas nécessaire de nous en montrer plus pour comprendre : le transport vers le centre de détention secret (les membres de la famille sont cagoulés), les quelques cris que l’on entend suffisent à nous faire comprendre les méfaits de la dictature.

Le film s’attarde plutôt sur la vie brisée de cette famille, ce père qui n’est plus là, les mensonges et les non-dits que doivent tenir Eunice et sa fille pour ne pas inquiéter les enfants plus jeunes, mais aussi tout simplement le manque d’argent provoqué par la suppression du seul salaire de la famille et le retour aux études d’Eunice pour pouvoir reprendre un travail.

Découpé en trois périodes distinctes, d’abord 1971 et la disparition de Rubens, puis 1995 où, après le retour du Brésil à la démocratie, celui-ci est enfin déclaré mort, enfin dans les années 2010 dans une dernière séquence peut-être superflue ou Eunice, atteinte d’Alzheimer,  est entourée de ses proches, le film montre que cette famille ne s’est jamais réellement remise de cette disparition, que les blessures infligées par une dictature ne se referment jamais complètement.

Film d’une force et d’une douceur remarquables, évitant les effets gratuits, ancré au contraire dans le réel par l’utilisation de séquences en super-8, Je suis toujours là est un témoignage mémoriel puissant sur ce qu’il s’est passé, sur ce qui peut toujours revenir (et pas seulement au Brésil). Remarquons enfin un casting impeccable, porté par Fernanda Torres formidable dans le rôle d’Eunice, femme à la fois forte et fragile, découvrant de la pire manière les actions justes de son mari (remarquons au passage que comme souvent, si les hommes agissent pour ce qu’il leur parait juste, leurs femmes et leurs familles en paient aussi les conséquences) et qui au lieu de se refermer sur elle-même après cette effroyable séquence se mettra au service de la population autochtone brésilienne.

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Ravagés de splendeur, Guillaume Lebrun

Nouveau roman de Guillaume lebrun chez Christian Bourgois après le très bon Fantaisies Guérillères qui délirait autour de Jeanne d’Arc, Ravagés de splendeur est un texte court et violent à l’image du règne de son personnage principal, l’empereur roman Héliogabale. Empereur ou impératrice au genre incertain, à la bisexualité se développant dans la violence et le sang. 

L’auteur n’a pas besoin de beaucoup forcer le trait pour nous livrer ce récit rempli de transgression. Sa plume est vive, décrivant ces orgies et leurs excès, multipliant les points de vue entre trois personnages, utilisant parfois en guise de clin d’œil un vocabulaire anachronique. On lit ça d’un trait, subjugué et effrayé par ces scènes brutales à l’issue inéluctable.

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