The insider, Steven Soderbergh

George et Kathryn sont un couple d’espions britanniques. Lorsqu’un virus informatique est dérobé et en passe d’être vendu à la Russie, George est informé que le vol a été perpétré par une taupe au sein de leur service et une liste de cinq suspects lui est fournie. Il doit enquêter rapidement et éliminer la taupe. Problème : sa femme est dans la liste des cinq.

J’avais été un peu déçu par le précedent Soderbergh, Présence, dont le scénario signé David Koepp (tout comme celui de The Insider) m’avait semblé quelconque. Ce film d’espionnage est donc une excellente surprise : son ambiance et son scénario à la John Le Carré (on est clairement dans l’hommage à La Taupe), son rythme sans temps mort (le film dure 1h30 et ne contient aucun temps mort), ses huis-clos autour d’une table, ses multiples pistes, son utilisation crédible de la technologie, contribuent à l’efficacité du film. 

Tout tourne autour de ce couple, à la connaissance intime qu’ils ont l’un de l’autre et qui permet à George d’avancer masqué, d’enquêter sur ses collègues et amis. On est pris dès les premières minutes par cette ambiance étrange, mélange de méfiance et de connivence, grâce à ce remarquable duo d’acteurs que font Michael Fassbender et Kate Blanchett. Allez-y, vous ne serez pas déçu.

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Le temps de l’innocence, Edith Wharton

Newland Archer, jeune homme de l’aristocratie new-yorkaise de la fin du 19e, doit épouser May Welland. Mais le comtesse Ellen Oleska, une amie d’enfance mariée à un noble européen qu’elle a fui revient à New-York avec l’intention de divorcer. Newland est tiraillé entre May, avec qui il aura une vie tranquille voire terne, et Ellen, celle qu’il aime réellement, mais qui sera source de scandale.

Écrit en 1920 par Edith Wharton, elle-même issue de ce milieu newyorkais, ce roman est la description d’une société figée dans ses principes, où le respect des règles est plus important que tout le reste, où le paraître dirige tout, où la seule apparition d’une femme voulant divorcer dans une loge d’opéra semble être un scandale insurmontable. Wharton, mariée à un homme fade, a elle-même divorcé et s’est installée en Europe ; elle a visiblement des comptes à régler avec ce carcan aristocratique. Le Temps de l’innocence n’est certes pas un roman des plus agréables à lire, tant la vie factice et ennuyeuse de cette haute-bourgeoisie est insupportable, et si Newland Archer rate sa vie presque aussi bien qu’Emma Bovary, on est impressionné par la manière dont Wharton nous décrit ce monde tout comme on était impressionné par le réalisme cruel de Flaubert. Le Temps de l’innocence a remporté le prix Pulitzer en 1921 et a été adapté au cinéma par Scorcese en 1993,

(Il faudra m’expliquer pourquoi l’éditeur français ne daigne pas mettre le prénom d’Edith Wharton sur la couverture. J’avais déjà remarqué cela avec George Eliot chez un autre éditeur. Étant passé récemment dans des librairies anglaises, ce n’est pas le cas des versions originales.)

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Le serpent de l’Essex, Sarah Perry

Maintenant que je vous ai présenté Mary Anning, la paléontologue autodidacte, dans le précédent billet, Je peux vous parler de Cora Seaborne et de son mystérieux serpent.

Point de biographie cette fois, nous sommes en pleine fiction. Toujours dans l’Angleterre victorienne, Cora Seaborne est délivrée d’un mariage pénible à la mort de son époux. Mariée trop jeune, elle n’a connu que cette vie morne au côté d’un homme détestable. Aussi, passée la tristesse feinte du deuil, laisse t-elle libre cours à sa passion, la paléontologie, et veut-elle marcher dans les traces de son modèle, Mary Anning. 

Accompagnée de son amie Martha et de son fils Francis (un adolescent au comportement étrange qui serait certainement diagnostiqué autiste aujourd’hui), Cora se rend dans un petit village de la côte de l’essex où une légende de deux siècles et quelques témoignages récents attestent de l’apparition d’une mystérieuse créature, un serpent géant. Cora va se lier au pasteur local et à sa femme, alors que Luke, un chirurgien londonien, a de plus en plus de mal à cacher son amour pour Cora.

Le serpent de l’Essex est un livre qui part un peu dans tous les sens : roman d’apprentissage tardif via son personnage principal qui ne s’émancipe que suite à la mort de son mari, roman rural avec ce petit village, ses personnages folkloriques et ses légendes et superstitions, roman social traitant des mauvaises conditions de logement des travailleurs pauvres de Londres et des préjugés de classe de la bourgeoisie, roman religieux avec ce pasteur dont la foi est mise à l’épreuve, enfin roman sentimental avec les multiples relations inachevées ou ratées entre les différents personnages.

Cela pourrait faire peur, mais Sarah Perry maîtrise grandement ses sujets et fait de Cora la personne autour de laquelle tout gravite. L’innocence, la maladresse, mais aussi la volonté et l’énergie de cette femme trop longtemps enfermée dans son rôle d’épouse et qui ne connait pas grand chose de la vie et du monde quand elle accède enfin à la liberté permettent à l’autrice de développer tous ces thèmes avec harmonie, attribuant des rôles bien précis aux personnages secondaires, se permettant des appartés sans rapport avec l’intrigue principale sans pour autant ennuyer le lecteur, nous dressant un portrait détaillé de l’Angleterre de l’époque. 

On aimerait tout simplement que Cora ait réellement existé, qu’elle eut été l’héritière un peu maladroite de Mary Anning et on s’imagine la croiser dans le Londres du 19e, profiter aussi bien de sa fougue que de ses maladresses. Alors lisez Prodigieuses créatures de Tracy Chevalier puis enchaînez avec Le Serpent de l’Essex et vous aurez bien du mal à vous retenir d’aller visiter les côtes anglaises, aussi bien pour ses fossiles que pour ses personnages.

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Prodigieuses créatures, Tracy Chevalier

Je voulais vous parler de ma dernière lecture Le serpent de l’Essex de Sarah Perry, mais ce livre est tellement dans la continuité de Prodigieuses créatures que je dois d’abord vous en toucher deux mots.

Prodigieuses créatures donc, de Tracy Chevalier (j’ai l’impression de ne lire que des autrices anglaises en ce moment (Chevalier, née à Washington, est londonienne depuis longtemps), est la biographie romancée de Mary Anning. Cette femme du début du 19e siècle, fille d’un charpentier, vivait sur la côte du Dorset. Elle ramassait des fossiles pour les vendre aux touristes et découvrit ainsi de nombreux spécimens encore inconnus (parmi eux le premier ptérodactyle complet). N’ayant pas fait d’études et étant une femme, ses relations avec les scientifiques furent évidemment compliquées et ses découvertes attribuées à d’autres.

Prodigieuses créatures est, au-delà de l’aspect biographique, une description des rapports de classe et de genre dans l’Angleterre de cette époque. L’autrice nous raconte avec une plume alerte cette vie parsemée de difficultés (Anning a surtout connu la pauvreté) mais aussi de rencontres et de soutiens inattendus de la part de quelques scientifiques qui permirent la reconnaissance de son travail. C’est un récit joyeux, débordant de vie, sur un personnage unique dont l’apport à la paléontologie est aujourd’hui incontestable ; Prodigieuses créatures est le plus bel hommage que la littérature pouvait lui rendre.

(il faut maintenant que je lise les autres romans de Tracy Chevalier !)

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Black Dog, Hu Guan

Après avoir purgé une peine de prison pour un homicide, Lang revient chez lui, dans une ville à la limite du désert de Gobi que les habitants quittent et abandonnent aux meutes de chiens. Il est recruté de force dans une patrouille de capture de chiens mais s’attachent à l’un d’entre eux, un squelettique chien noir.

Black Dog est un film désertique. Par son décor naturel (qui ressemble plus à un western italien qu’autre chose), par cette ville en cours de destruction, mais aussi par l’absence apparente de sentiment de son personnage principal, mutique la plupart du temps. La relation qu’il noue avec ce misérable chien est d’autant vivante et étonnante au milieu de ces décors à la limite du post-apo.

Représentation d’une Chine pauvre essayant difficilement de s’accrocher à un quelconque développement, à l’opposé de la Chine triomphante de Shanghai et Beijing, cette ville en proie aux animaux (les chiens bien sûr, mais aussi les rescapés du zoo abandonné) permet à Hu Guan de réaliser un film avec peu de paroles mais beaucoup de scènes fortes et des plans incroyablement beaux. C’est un film extrêmement noir et parfois dur, parlant de survie et de mort, porteur de peu d’optimisme, mais rempli d’une poésie du désespoir.

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Du bout des doigts, Sarah Waters

Dans l’Angleterre victorienne, une orpheline, Sue, est embauchée par un escroc, Gentleman. Celui-ci veut qu’elle devienne la domestique d’une jeune fille un peu naïve, Maud, afin d’aider Gentleman à la séduire, s’enfuir avec elle pour se marier et ensuite l’abandonner dans un asile afin de capter son héritage. Car Maud, orpheline elle aussi, vit avec son oncle, grand collectionneur de livre, et elle ne pourra toucher son argent que lorsque qu’elle sera mariée. Mais Sue va se heurter à un imprévu : ses sentiments à l’égard de Maud vont passer de l’indifférence à l’amour et il va être de plus en plus difficile pour elle de participer à cette arnaque et de conduire Maud à l’asile.

Commençons par un aveu : ce roman a été adapté en film et ce n’est qu’à la fin de la première partie et de son remarquable twist que j’ai fait le lien (je ne vous donne pas le titre du film, ce serait un spoiler terrible). J’ai néanmoins une excuse : le film a relocalisé l’action en Asie ce qui n’aide pas à faire le lien tout de suite.

Roman à twist donc, à multiples twists même, avec son escroquerie à plusieurs niveaux, où les pièces s’imbriquent tout au long de ses 750 pages, sans pour autant être artificiel ou sembler en faire trop. Le talent de Sarah Waters, l’agilité qu’elle met dans la construction de l’intrigue, font de ce roman un véritable page-turner malgré sa complexité.

Mais Du bout des doigts (un titre à plusieurs sens)  est aussi un roman sur les femmes, sur ce qu’elles pouvaient réaliser et ce qui leur était interdit dans l’Angleterre du 19e siècle, sur une relation lesbienne difficile à assumer de part et d’autre, sur leur rapport à une certaine littérature (évitons de spoiler). C’est un roman riche par ses personnages, par sa description de la société victorienne populaire, par sa construction.

Alors un seul conseil : n’ayez pas peur de son épaisseur et lisez-le.

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A real Pain, Jesse Eisenberg

Suite à la mort de leur grand-mère rescapée des camps nazis, Benji et David, deux cousins, font un voyage mémoriel en groupe en Pologne pour voir où a vécu leur famille. Les deux cousins ont des caractères opposés : alors que David a un caractère effacé, une vie de famille tranquille et un job dans la pub, Benji est extraverti, charismatique, mais aussi un peu perdu, instable et dépressif.

Si la bande annonce jouait sur le trope classique du buddy movie, l’opposition de caractère entre deux personnages, A real Pain est beaucoup plus fin que cela. Ce retour sur leur terre d’origine et sur le lieu qui a provoqué la souffrance et l’émigration de leur famille pose la question de l’héritage de la Shoah, de la manière dont à deux générations d’écart une telle horreur peut être perçue et comprise. Le décalage entre ce que sa grand-mère a traversé et sa vie tranquille et oisive est une source de culpabilité énorme pour Benji, alors que David apparait plus détaché de tout cela et a accompagné son cousin plus pour le soutenir moralement que pour vraiment effectuer ce travail de mémoire.

Jesse Eisenberg réalise le film avec une grande pudeur, soulignant l’appartenance historique de la communauté juive à cette partie de la Pologne, filmant le camp d’extermination sans cacher son horreur mais sans s’appesantir, à l’aide de plans courts qui parlent d’eux-mêmes, sans dialogue superflu, opposant la noirceur du lieu à la beauté du paysage alentour avec un superbe plan du taxi rouge sur le fond vert des terres agricoles et n’oubliant pas de montrer que le camp était juste à côté de la ville, donc que la population locale était forcément au courant de l’horreur.

Film sur la transmission de la mémoire, sur la réception de la douleur, A real Pain est une belle réussite portée par ses deux acteurs principaux, Kieran Culkin évidemment, qui a remporté l’oscar pour ce rôle, mais aussi Eisenberg, en retrait la plupart du temps mais bouleversant dans sa relation avec son cousin. 

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Paradise, Dan Fogelman

La petite ville de Paradise porte bien son nom : elle est toute propre, il fait toujours beau, les habitants sont sympas, et même le président des États-Unis y habite. Mais un matin, Xavier Collins, le responsable de la sécurité du président, le retrouve mort, visiblement assassiné. Et rien n’est visible sur les caméras de surveillance.

(spoiler du premier épisode, vous êtes prévenu)

Ce qui commence comme un thriller classique bascule rapidement vers autre chose : la raison de l’existence de cette petite ville. Construite dans une énorme grotte, elle a permis à ces habitants sélectionnés pour leurs compétences d’échapper à la fin du monde. Car à l’extérieur de cette grotte, c’est la chaos, une catastrophe mondiale a détruit à peu près tout. La partie thriller est alors mise de côté (la résolution du meurtre, sans rapport avec le reste de la série, arrive comme un cheveu sur la soupe) au profit des enjeux de pouvoir entre Collins et Sinatra, la femme à l’origine du projet Paradise et vraie dirigeante dans l’ombre de la ville).

Ce mélange de Silo et de Truman Show n’est pas mal fait, mais à l’image de cette ville propre, on s’y ennuie un peu. Les épisodes se suivent et se ressemblent, on ne voit pas grand chose de mémorable passé le twist du début et le meilleur épisode est, assez ironiquement, celui qui se déroule à l’extérieur de Paradise avant la catastrophe, révélateur du manque d’intérêt du reste. L’interprétation est correcte même si par moment on aurait envie de mettre un coup de pied au cul de Sterling Brown (Xavier Collins) pour qu’il se réveille et s’active un peu. La série se conclue évidemment avec un gros cliffhanger annonciateur de la saison 2. Une série à regarder les soirs de fatigue.

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Prime target, Steve Thompson

Série en cours de diffusion sur Apple TV, Prime Target avait un pitch prometteur : la NSA surveille les plus grands mathématiciens qui travaillent sur les nombres premiers car leurs travaux pourraient mettre en péril les algorithmes de chiffrement. Un thriller basé sur les mathématiques, voilà qui est original.

Et effectivement, la série commence plutôt bien : à Bagdad, un vieux bâtiment est mis à jour, contenant les écrits du mathématicien persan Al-Khwārizmī, l’inventeur de l’algèbre, écrits concernant aussi les nombres premiers. De son côté, le jeune doctorant de Cambridge Edward Brooks est dissuadé de travailler sur les nombres premiers par son directeur de thèse, lequel se suicide mystérieusement peu après. Une jeune membre de la NSA, Taylah Sanders, découvre que c’est un meurtre et décide de rejoindre Brooks pour le protéger.

Hélas, à partir du 3e ou 4e épisode, cela se gâte. Après une scène de piratage informatique atteignant un sommet de ridicule, les personnages agissent en dépit du bon sens et le scénario de la suite de la série semble sorti de la poubelle de luc besson. L’épisode 6 dépasse les limites du supportable dans une scène d’action (?) à bord du shuttle, le train empruntant le tunnel sous la manche. Ajoutons à cela un casting raté où pas un seul acteur ne joue bien (mention spéciale à Quintessa Swindell dans le rôle de Taylah, aussi crédible et expressive qu’un concombre de mer) et une réalisation d’une platitude rare.

On trouve de bonnes séries sur Apple TV (au hasard : Severance, Slow Horses, Sugar), alors gagnez du temps : regardez autre chose que ce naufrage.

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Limberlost, Robbie Arnott

Dans les années 40 en Tasmanie, alors que ses deux grands frères sont partis à la guerre, Ned, trop jeune pour les rejoindre, reste à la ferme avec ses parents et sa sœur. Alors qu’il chasse les lapins pour vendre les peaux dans le but de s’acheter un bateau, il capture un dasyure, un petit marsupial local sauvage tueur de poules. Au lieu de le tuer pour récupérer sa fourrure, il le soigne et le garde dans une cage. 

Après Flammes et l’Oiseau de pluie, Limberlost (nom de la ferme des parents de Ned) est le troisième texte traduit de Robbie Arnott. Si Flammes était un roman fantastique et l’Oiseau de pluie une dystopie, Limberlost est un roman purement réaliste, situé dans la région de naissance de l’auteur. Roman d’apprentissage centré sur la jeunesse de Ned (quelques bribes du reste de sa vie sont néanmoins délivrées vers la fin du texte), Limberlost est avant tout lié à cette terre de Tasmanie, au rapport entre Ned et la nature, notamment grâce à la découverte de la navigation. Mais c’est aussi un roman sur la colonisation de cette terre, sur la négation des populations locales, ce que les filles de Ned lui reprochent à la fin de sa vie. Ned est un homme « normal », avec ses faiblesses et ses échecs, sa connaissance de la nature, ses petites réussites et ses amours.

S’il est moins spectaculaire que les deux romans précédents d’Arnott, Limberlost est un récit plus intimiste, sur un homme des années 50, proche de la terre et l’ignorant en même temps. C’est une vie simple et pourtant riche que nous raconte l’auteur sur un ton plein d’humanité et de tendresse.

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